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22·03·17

Un an après les attentats, le clivage linguistique est devenu religieux

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

(c) Miguel Discart

Les attentats du 22 mars n’ont pas changé notre mode de vie, mais ils ont changé notre façon de penser. Dans notre pays, la ligne de fracture n’est plus entre Flamands et Wallons, mais entre musulmans et non-musulmans.

Notre pays commémore aujourd’hui les attentats du 22 mars 2016. Nous avons beaucoup de choses à déplorer, mais pouvons-nous aussi nous réjouir ? La Belgique a-t-elle tiré les leçons de ce Mardi Noir ? Est-elle devenue un endroit sûr, où il fait bon vivre ? Notre pays a-t-il « grandi » ? Croyons-nous vraiment que ce qui nous lie est plus fort que ce qui nous divise ? Cinq questions auxquelles nous aimerions répondre par l’affirmative. Mais pour chacune d’elles, l’honnêteté nous oblige à admettre que ce n’est pas le cas. Un an plus tard, nous en sommes toujours au même point.

Bien sûr, en cherchant bien, on peut trouver des signes d’espoir. Les attentats ne nous ont pas assignés à résidence, n’ont pas changé notre mode de vie. Appelez cela comme bon vous semble, force de caractère ou pouvoir des habitudes, mais un an après les bombes, nous nous rendons toujours massivement à Zaventem pour y prendre l’avion, allons toujours en terrasse et au restaurant à Bruxelles sans la moindre inquiétude et prenons toujours le métro, de façon on ne peut plus routinière. Après un léger ralentissement, l’économie a bien vite retrouvé ses couleurs. Tels des pigeons après une détonation, nous avons pris peur et nous nous sommes envolés. Tels des pigeons, nous sommes ensuite revenus roucouler au même endroit, ayant tout oublié du mal qui nous a été fait ou du danger qui nous guette.

Mais à en croire l’opinion générale, nous ne serions pas naïfs, nous serions malins. Car dans la vie, il faut avancer. Un an donc après le 22 mars, la vie a repris ses droits et retrouvé son train-train. Nous avons rangé nos peurs dans notre subconscient, le bon sens a remplacé la panique aveugle qui nous avait envahis dans les premiers jours après les attentats, lorsque les écoles avaient annulé leurs excursions à Bruxelles, dans ce trou à rats, et qu’à la table de ma cuisine, deux policiers en gilet pare-balles m’aidaient à remplir un bête constat d’accident. « Vous a-t-il embouti à l’avant ou au niveau de l’aile ? » Un troisième agent se tenait derrière eux, arme au poing, probablement au cas où un terroriste surgirait de mon lave-vaisselle pour les agresser. La Belgique était à l’époque proche de la psychose.

Aujourd’hui,  nous en sommes toujours au niveau de menace 3, soit le deuxième plus élevé de la hiérarchie. Et cela ne dure pas depuis un an, mais depuis l’intervention à Verviers, en 2015. L’exception est donc devenue la norme et les services de sécurité de ce pays sont en état d’alerte permanent. On peut en comprendre les raisons. Mais vous et moi, cela fait longtemps que nous avons renoncé à notre vigilance, comme un boxeur qui aurait baissé sa garde. Et nous avons aussi nos raisons. Une société ne peut pas marcher éternellement sur des œufs. Comme le disait Robert Fisk, expert britannique du Moyen-Orient : si la menace qui pèse sur Bruxelles vaut un niveau 3, alors à Beyrouth, je vis tous les jours au niveau 12 ! Idem en Israël. Là-bas, lorsque l’alerte est donnée, tout le monde se cache dans les caves. Ensuite, quand l’orage est passé, la vie reprend son cours, que ce soit dans les entreprises, dans les rues commerçantes ou sous les couettes. On s’habitue à tout, même à la menace terroriste. Le 22/03 ? Que ce soit à Poperinge, à Bornem, à Bouillon ou à Bree, ce jour en est un comme tous les autres. Ainsi va la vie : elle continue.

Le gouvernement Michel n’a pas ménagé ses efforts ces dernières années pour offrir aux Belges une illusion de sécurité maximale. Deux douzaines de mesures, du kaki partout, un grand nettoyage à Molenbeek et notre pays aurait enfin développé la culture de sécurité qu’il aurait dû avoir depuis longtemps. Et si la N-VA et le MR avaient été les seuls à décider, ils auraient été un cran plus loin en matière de présence policière dans les rues.

Mais heureusement, il n’en a pas été ainsi, car la coupe est pleine. Il est bien d’avoir la mainmise sur l’ordre public, mais sur le plan de la radicalisation des esprits, nous ne sommes nulle part. Alors même que cette radicalisation se propage toujours plus massivement et toujours plus vite, a fortiori parmi les jeunes. Plus jamais un 22 mars ? Nos élus politiques sont décidément bien naïfs pour nourrir un tel espoir. Car la question n’est pas de savoir s’il y aura un nouvel attentat sur notre territoire. La question est de savoir quand il aura lieu.

Les attentats du 22 mars n’ont certes pas changé notre mode de vie, mais ils ont changé notre façon de penser. S’il doit être question de niveau 3, c’est en matière de distinction entre allochtones et autochtones. Et plus précisément – voyons les choses en face – en matière de méfiance entre musulmans et non-musulmans. Telle est la nouvelle ligne de fracture, même si le plus grand nombre refuse de l’admettre. Nous pouvons recouvrir ce clivage du Manteau de l’Amour, mais sur l’axe religieux-culturel – et donc plus sur l’axe communautaire – la scission des esprits se creuse, de Poperinge à Bouillon, y compris parmi les plus raisonnables et les plus modérés. C’est un triste constat.

À n’en pas douter, lors des nombreuses commémorations qui se tiendront aujourd’hui, on nous répétera à l’envi que ce qui nous lie est plus fort que ce qui nous divise. Pourtant, un an plus tard, nous ne sommes toujours pas vraiment parvenus à définir avec précision la nature de ce « liant ». Un an après le 22 mars, nous sommes plus divisés que jamais sur la nature de ce qui doit nous unir. C’est la cruelle réalité. Et c’est exactement ce qu’avaient espéré les terroristes.

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