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14·10·16

20% des Flamands musulmans pour Daesh ? L’enquête qui pose question

Temps de lecture : 3 minutes Crédit photo :

Image : Une du magazine Humo

De Morgen
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Réaliser des enquêtes d’opinion fiables n’est pas chose aisée. L’échantillonnage doit être correct, la participation élevée, la disposition à participer ne doit pas dépendre trop largement du sujet abordé, les questions posées doivent être mûrement réfléchies et pour l’analyse, mieux vaut s’y connaître en statistiques. Et lorsque les chiffres sont traduits en informations, il est essentiel de les interpréter avec précision. Pour chacun de ces aspects, l’erreur est possible.

Tout dépend donc de la question posée.

Tâche plus ardue encore : mener une enquête d’opinion auprès d’une catégorie spécifique de la population, par exemple les musulmans de Belgique. Une entreprise complexe sur le plan technique, car il n’existe (évidemment) pas de liste de musulmans dans laquelle puiser. Il faut donc avoir recours à d’autres techniques, très sophistiquées. Dès lors, tendre vers la représentativité nécessite beaucoup de travail et d’argent. Notre propre expérience le confirme. C’est pour ces raisons que nous sommes circonspects quant à l’enquête Ivox réalisée pour Humo et VTMnieuws, qui suggère que 20 % des Belges musulmans manifesteraient de la compréhension pour les actions de Daech. Un résultat qui offre certes aux journaux un titre accrocheur, mais contraste sensiblement avec la conclusion selon laquelle 92 % des sondés condamnent la violence. Manifestement, tout dépend donc de la question posée.

Même si ces chiffres contredisent totalement nos propres données et notre connaissance du terrain, nous précisons, pour éviter toute ambiguïté, que ne nous ne souhaitons pas ici balayer quoi que ce soit sous le tapis. En revanche, nous nous interrogeons sur la façon dont il est possible de donner une impression de rigueur scientifique en jonglant avec les chiffres. Lorsque l’on cherche des informations, il est essentiel d’être transparent quant à la manière de choisir l’échantillon, au libellé des questions et aux choix présentés aux répondants. Mais à ce sujet, personne ne peut nous éclairer. Hier, nous avons demandé à pouvoir consulter la fiche technique, qui sera — nous dit-on — publiée sur le site de Humo à la fin de la semaine.

Il n’existe pas de registre dans lequel il est possible de choisir 500 musulmans au hasard.

Nous craignons le pire. Il n’existe pas de registre dans lequel il est possible de choisir 500 musulmans au hasard. Et si c’est le cas pour Ivox, la Commission vie privée devrait avoir deux mots à leur dire… Ont-il appliqué la méthode de la boule de neige, peu fiable ? Les répondants ont-ils été recrutés dans des mosquées ? Ont-ils eu la possibilité de s’inscrire de leur propre chef ? Tout ce que nous avons pu conclure jusqu’à présent, c’est qu’il s’agit d’une enquête menée sur internet. Mais pour ce qui est de la rigueur et de la représentativité du recrutement, le mystère reste entier. Essentiellement car il est pour ainsi dire impossible de répondre à ces questions. Où les participants habitaient-ils ? Quel était le nombre d’hommes et de femmes ? Et la répartition des âges ? Quelles étaient, précisément, les questions et les catégories de réponses ? Une saisie d’écran de l’enquête montre une double négation dans la question de compréhension, ce qui va à l’encontre des règles.

Les chiffres exerçant sur nous une véritable fascination, nous en venons parfois à oublier que la qualité d’une enquête d’opinion repose pleinement sur la méthode adoptée. L’aspect technique paraît plutôt fastidieux, et bon nombre d’universitaires eux-mêmes ne maîtrisent pas sur le bout des doigts les notions d’échantillon aléatoire, d’intervalle de confiance et d’erreur type. Dans ce domaine la transparence est pourtant primordiale, puisque les sondages, outre qu’ils fournissent un instantané de l’opinion publique, l’influencent. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’en Belgique, la fiche technique des enquêtes politiques est publiée via Febelmar afin que les experts puissent en évaluer la valeur.

Nous reconnaissons qu’il s’agit là de questions ennuyeuses. Mais elles sont justement essentielles. Tant qu’elles n’auront pas été éclaircies, l’enquête n’a rien à faire en couverture d’un magazine. Sa place est à la poubelle. Ou dans un cours de méthodologie de la recherche, au chapitre des exemples à ne pas suivre.

Dirk Jacobs est professeur ordinaire de sociologie à l’ULB. Dimokritos Kavadias est chargé de cours de méthodologie à la VUB.

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