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18·01·16

La semaine stratégique de Bart De Wever

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) Karl Meersman

Ivan De Vadder
Auteur⸱e
Traducteur Andre Verkaeren

 

La N-VA et son président Bart De Wever ont vécu une semaine bien particulière. Le week-end dernier a été marqué par une réception de Nouvel An en grandes pompes, à Malines, en présence de milliers de militants. Willy Kuijpers, qui quitte la politique, recevait une paire de sandales et la salle se levait pour applaudir Theo Francken, l’homme qui, dans ses habits de secrétaire d’Etat à l’Asile et à l’immigration, tient bien en main la crise des réfugiés.

Ivan De Vadder est observateur de la rue de la Loi chez VRT Nieuws.

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Le dessin est signé Karl Meersman et repris dans le livre Het Waterloo van Links: een eigenzinnig jaaroverzicht (Le Waterloo de la gauche : une synthèse rebelle de l’année) d’Ivan De Vadder et Karl Meersman, édité par la maison Vrijdag.

De Wever, la gueule de bois

Le lendemain, c’était ce débat dans l’émission De zevende dag, où Bart De Wever a croisé le fer avec le nouveau président du SP.A, John Crombez. Tout le monde s’attendait à ce que De Wever remporte la joute les doigts dans le nez et avec les félicitations du jury. Point du tout, Crombez s’est montré très combatif et s’est servi des techniques de débat auxquelles De Wever a si souvent recours lui-même: interruption de l’opposant avec des phrases qui tuent* ou langage corporel réprobateur pendant que le compétiteur développe son argumentaire. Il y avait beau temps que le président de la N-VA n’avait pas perdu un débat télévisé.

Était-ce la gueule de bois de la veille ou De Wever ne s’attendait-il pas à tomber sur un Crombez batailleur ?

Cette semaine encore, il s’est avéré que le gouvernement fédéral, dont la N-VA est le plus grand parti, n’est plus aussi à cheval sur le principe de l’équilibre budgétaire en 2018. Le mantra de cet équilibre constitue pourtant le cœur même de la politique du « gouvernement de relance » que la N-VA a mis sur pieds avec les partis libéraux et le CD&V. D’ailleurs, lorsqu’elle était dans l’opposition, la N-VA n’a jamais cessé de réclamer cet équilibre budgétaire, documents de la Commission européenne et du FMI à la main, pour mettre la pression sur le PS, premier parti du gouvernement précédent. Il semblerait que ce principe ait perdu de son importance.

Le virage de Vuye

Hier, nous avons assisté au « virage de Vuye ». Dans un communiqué de presse singulier, la N-VA a annoncé qu’elle ressortait le « confédéralisme » des tiroirs et, dans le même temps, qu’elle chargeait Hendrik Vuye, son chef de groupe à la Chambre, « d’élaborer un projet visant à ré-opérationnaliser l’institutionnel. » Cette initiative est une manière pour la N-VA de répondre aux critiques issues des rangs du mouvement flamand contre le cap suivi par le parti. Le mécontentement à ce sujet couve depuis longtemps. Jean-Pierre Rondas de doorbraak.be a résumé aujourd’hui la situation en ces termes dans De Standaard : « Si la N-VA se tait sur le communautaire, ce qui a été le cas jusqu’à présent, elle devient semblable à n’importe quel autre parti ; elle perd sa raison d’être*. »

Ce virage de la N-VA a de quoi étonner. Il y a seulement quelques jours encore, le parlementaire de la N-VA Peter De Roover, à l’occasion d’une double interview avec le même Rondas, n’a quasiment pas réagi à ce reproche. « Si vous êtes belgicain, il ne vous reste qu’à espérer un gouvernement auquel participe la N-VA, c’est la paix communautaire garantie », a ricané Rondas. Et à la remarque que la ministre flamande Liesbeth Homans avait encore rêvé récemment à haute voix de la fin de la Belgique, Rondas a cru bon d’ajouter : « Une personnalité se livre de temps à autre à une déclaration musclée sur la fin de la Belgique, et ensuite c’est back to business. »

Humilité

Mais soit, Bart De Wever baisse désormais humblement la tête et tend de nouveau la main au mouvement flamand : « Un statu quo communautaire ne signifie pas que le mouvement flamand doit en rester au statu quo. Et moins encore qu’il faille renoncer au combat des idées. La dialectique de la formulation des thèses et des antithèses se poursuit. Et notre parti ne saurait être absent de ce débat. » Hendrik Vuye remet à disposition son mandat de chef de groupe et « traduira les textes du congrès de la N-VA sur le confédéralisme en textes législatifs et approfondira le discours communautaire. » Après le virage de Bracke, qui avait vu le parti remplacer le discours communautaire par un cap purement socio-économique aboutissant à la création d’un « gouvernement de relance », la N-VA effectue donc le mouvement inverse, et l’omerta sur le communautaire est levée.

Le virage de Vuye peut-il annuler celui de Bracke ?

Ne nous y trompons pas, derrière le « virage de Vuye » se cache aussi un choix de carrière d’ordre personnel. Tout le monde a remarqué depuis longtemps que le chef de groupe de la N-VA – choix étonnant, qui remonte à dix-huit mois – n’était pas vraiment trempé dans le bois adéquat. Or, le chef d’un groupe de 33 parlementaires, faisant qui plus est partie de la majorité, doit forcément être un manager. D’un commun accord avec le parti, Hendrik Vuye se cherchait donc une porte de sortie depuis un certain temps déjà.

Le « virage de Vuye » n’aurait pas pu tomber plus à pic : sous le couvert de resserrer les boulons avec le mouvement flamand, Vuye peut être débarqué en souplesse du poste de chef de groupe. Mieux encore, du même mouvement habile, il devient possible de désigner un nouveau chef de groupe : Peter De Roover, un homme- et ce n’est pas un hasard – dont les états de services au sein du mouvement flamand sont tout à fait convaincants. Ainsi De Roover pourra-t-il mieux incarner le « virage de Vuye » depuis un poste plus visible, mieux en tous les cas que ne pourrait le faire un groupe de travail sous la direction de Hendrik Vuye et de Veerle Wouters.

Dommages collatéraux

L’ingénieuse stratégie que croient déceler les partis et les médias francophones derrière cette manœuvre relève donc sans doute davantage d’une question de gestion des ressources humaines. Contrainte et forcée, la N-VA encaisse les dommages collatéraux connexes. Car en Belgique francophone, après ce « virage », le premier ministre Charles Michel et son parti, le MR, subissent des critiques encore plus nourries. « Charles Michel ne s’est pas trompé, il a été trompé*, » assène le PS. Charles Michel a un jour déclaré qu’il s’était trompé sur la N-VA afin d’expliquer pourquoi il s’était embarqué dans un gouvernement avec ce parti, si « dangereux pour l’État », alors qu’il avait exclu cette possibilité pendant la campagne électorale. Maintenant que la N-VA époussette de nouveau les dossiers communautaires, le PS évoque un premier ministre « trahi ».

Ce n’est qu’après les élections de 2019 que nous saurons vraiment lequel de ces deux virages compte le plus pour la N-VA. Se tiendra-t-elle à une « politique de relance », jadis introduite par le virage de Bracke, pour montrer qu’il reste indispensable de réparer les dégâts causés par la « politique lamentable des socialistes » ? Ou la nécessité d’une réforme de l’État se fera-elle tellement aiguë que la N-VA redeviendra le parti du confédéralisme, même quand cela signifie qu’il faut négocier avec le PS ?

Dans ce dernier cas, le « virage de Vuye » s’avérera de plus grande ampleur que celui de Bracke. Mais pour l’heure, il se traduit surtout par la création d’un groupe de travail.

* En français dans le texte

Ivan De Vadder pour deredactie.be

Traduit du néerlandais par André Verkaeren

 

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