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03·06·15

Et le féminisme devint sexy

Temps de lecture : 4 minutes Crédit photo :

Cartoon de Malcolm Evans (2011)

“Entièrement couverte sauf les yeux : que la culture masculine est cruelle !” pense l’Occidentale.

la Musulmane se dit “Seuls ses yeux sont cachés : la culture masculine est bien cruelle !”

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Traducteur⸱trice DaarDaar

Depuis quelques mois, le féminisme semble presque à la mode. De grands noms de la culture populaire débarquent avec un discours féministe. Comme Beyoncé, qui s’est produite en août 2014 sur une scène affichant en grandes lettres : “Feminist”. Une telle tournure des événements alimente le débat parmi les féministes traditionnels. La popularité du féminisme sert-elle vraiment leur cause ?

La popularité du féminisme, une évolution positive ?

Le sujet du féminisme résonne aussi sur les réseaux sociaux. Twitter, Facebook et Instagram abondent en témoignages d’appui en faveur du mouvement. Des blogueurs prennent la plume pour en faire autant. Les sites web comme Everyday Sexism – Le Sexisme au quotidien – et Who Needs Feminism – Qui a besoin du féminisme – publient des témoignages de victimes du sexisme. Le féminisme utilise des hashtags comme #AllMenCan, #YesAllWomen ou le belge #WSVO (Wij Spreken Voor Onszelf – Nous parlons pour nous-mêmes).

Les hommes partagent de plus en plus l’idéologie féministe. Probablement parce que le féminisme populaire actuel est moins associé à une attitude de dénigrement à l’égard des hommes, le “male-bashing”. Le féminisme traditionnel n’est pas un mouvement dirigé contre les hommes : il s’oppose plutôt au patriarcat, à la suprématie des hommes dans le paysage sociopolitique. Mais la confusion reste de mise.

Comme l’a relevé récemment Emma Watson en qualité d’Ambassadrice de bonne volonté de l’ONU, dans son remarquable discours “He for She” – Il pour elle –, les hommes ne sont pas la cible des féministes et ils peuvent également être victimes de sexisme.

Une question de style ou de tenue vestimentaire ?

Une telle tournure des événements alimente le débat parmi les féministes traditionnels. La popularité du féminisme sert-elle vraiment leur cause ?

Dans une correspondance publiée sur le site américain New Republic, deux journalistes féministes américaines confrontent leurs opinions. Davantage de gens, se réjouit Rebecca Traister, participent au débat et adhèrent au féminisme. Elle évoque une dynamique. La perception de Judith Schulevitz est tout autre. Beyoncé comme modèle ? Non merci, dit-elle. “Le mot féminisme se trouve réduit à un objet fétiche par une grande prêtresse de la culture misogyne qu’est la pop-musique américaine. En particulier quand Beyoncé se prête à son numéro de pole dance – une danse autour d’un poteau.”

Beyoncé la féministe

D’autres féministes traditionnelles suivent l’avis de la journaliste Judith Schulevitz. Mais est-il bien raisonnable d’exclure une large frange de mécontents sous prétexte qu’ils ne souscrivent pas au féminisme classique ? Avec un peu de distance, le costume et le style de la danse n’apparaissent-ils pas comme des questions purement accessoires, de pur tatillonnage ?

La question me rappelle un dessin humoristique. Une femme musulmane portant la burqa croise une femme occidentale en bikini, le nez chaussé de lunettes de soleil. “Entièrement couverte sauf les yeux : que la culture masculine est cruelle !” pense l’Occidentale. Oh ironie ! Symétriquement, la Musulmane se dit “Seuls ses yeux sont cachés : la culture masculine est bien cruelle !”

Le dessinateur faisait allusion à la subjectivité culturelle. La misogynie n’est pas perçue de la même façon dans toutes les cultures. La nôtre estime que le port de la burqa traduit la domination masculine, parce que nous soupçonnons les hommes musulmans d’imposer cette tenue vestimentaire à “leurs” femmes. Au contraire, la culture musulmane ressent la soumission des femmes occidentales au sexisme, en ce qu’elles attirent les regards masculins par leurs toilettes légères.

Pour Judith Schulevitz, le style vestimentaire de Beyoncé signe cette soumission, tandis qu’il signe son émancipation pour Rebecca Traister. Beyoncé ne devrait pas être empêchée de participer à des mouvements féministes parce qu’elle exhibe son corps. Ou, comme le paraphrase l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie : “Whoever says they’re feminist is bloody feminist” – Quiconque se dit féministe est bel et bien féministe. Et si au lieu de se focaliser sur les questions qui nous divisent, on se concentrait sur celles qui nous unissent ?

La force de conviction du cliché féminin

Et que penser de Femen, le mouvement féministe dont la réputation mondiale s’est établie en un éclair grâce aux actions menées par des femmes en topless ? Il est apparu en Ukraine en 2008 en protestation contre le sexisme, les institutions religieuses, la dictature, l’homophobie. Bien que les Femen aient parfaitement réussi à attirer l’attention sur le thème de leurs revendications, leur vision du féminisme paraît plutôt étroite. D’une part, elles placent la barre assez haut pour ceux qui voudraient les rejoindre : les hommes en sont exclus et toutes les femmes ne se sentent pas suffisamment en phase pour protester les seins nus. D’autre part, le rejet radical de la religion par Femen éloigne pas mal de femmes du mouvement. Si les traditions patriarcales dans les religions institutionnalisées peuvent en effet difficilement être niées, est-ce une raison suffisante pour rejeter la religion en tant que telle ? Entre-temps, l’influence de Femen a fortement régressé à la suite de la découverte par la réalisatrice de documentaires, Kitty Green, que le cerveau de Femen est un homme, et que cet homme, Victor Svatski, s’est attaché à choisir les femmes (les plus attirantes) pour conduire les actions du groupe.

Une autre critique formulée à l’encontre de Femen vient de ce que j’appellerais l’effet “White Woman’s Burden”, par analogie au poème The White Man’s Burden – Le Fardeau de l’homme blanc – écrit en 1899 par Rudyard Kipling. Les pays non occidentaux s’irritent que nous considérions nécessaire de leur transposer notre culture et de présenter notre démarche comme une sorte de mission humanitaire “civilisatrice”. Les actions de Femen sont interprétées de manière similaire dans les pays non occidentaux.

On ne peut pas imposer certaines valeurs culturelles à une autre communauté. Le changement doit venir de l’intérieur. Le mouvement activiste ukrainien Femen était plus fort lorsqu’il combattait le trafic des femmes dans son propre pays. Là où un féminisme universel devrait se concentrer sur des principes auxquels souscrivent les féministes du monde entier, les mouvements féministes nationaux, soutenus par les populations locales, devraient se focaliser sur des changements concrets au sein de leurs propres communautés.

La Belgique accrochée à un schéma classique des rôles

Quel but peut encore atteindre le féminisme belge ? La législation belge a progressé particulièrement vite. Il semble bien loin le temps où les femmes ne pouvaient pas voter, même si le droit de vote ne leur a été accordé qu’en 1948.

Mais notre société n’est pas parfaite. Un écart salarial entre les femmes et les hommes subsiste. La violence sexuelle, en particulier la violence conjugale ou entre partenaires, reste un gros problème. Partout dans le monde, en Belgique comme ailleurs, l’homophobie résiste. La discrimination et la violence à l’égard des transsexuels se perpétuent.

Évoluer hors du modèle classique des genres ou adopter une position critique à cet égard est encore trop souvent stigmatisé. En somme, la population belge s’est peu distanciée de la répartition traditionnelle des rôles selon les genres.

L’article en V.O. sur le site De Wereld Morgen : http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2015/05/27/en-toen-was-het-feminisme-plots-sexy

Le site d’information participe d’ailleurs à la Semaine du Féminisme et vous pouvez retrouver d’autres articles ici

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