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Bert Kruismans : « On a besoin de jumelages entre villes belges ! »
12·05·16

Bert Kruismans : « On a besoin de jumelages entre villes belges ! »

L’humoriste Bert Kruismans a débuté sa carrière comme journaliste à Studio Brussel et à Arte Belgique. Fort de plus de 20 ans d’expérience dans les médias, il a commencé à faire des spectacles en français en 2007-08. Depuis, il sillonne la Belgique du Nord au Sud.

Temps de lecture : 5 minutes Crédit photo :

(c) Aubry Touriel

Aubry Touriel
Auteur

Bert Kruismans, humoriste connu des deux côtés de la frontière linguistique, soutient notre campagne de crowdfunding. Il nous livre ses impressions sur le paysage médiatique belge, l’apprentissage des langues, et bien d’autres sujets !

DaarDaar : Quel type d’émission manque-t-il dans le paysage médiatique belge ?

Quand je travaillais à Arte Belgique comme chroniqueur dans 50 degrés Nord, il y avait beaucoup d’intérêt pour ce qu’il se passait sur le plan côté culturel en Flandre. J’avais dit à Jean-Louis Phillipot, le grand chef de la RTBF : vous ne devriez pas vous limiter aux émissions de hautes cultures: vous devriez élargir l’offre aux programmes de divertissement, des émissions plus légères. On a besoin d’un talk-show avec 2 animateurs: 1 néerlandophone et 1 francophone. Tout le monde parle sa propre langue, le tout est sous-titré dans l’autre langue. Il y a trois invités : 2 fort connus dans les deux communautés et un connu seulement d’un côté.

On ne se connaît pas, mais ça peut se régler rapidement. On ne se sent pas concerné par ce qui bouge de l’autre côté parce qu’on n’est pas informé. Du côté néerlandophone, on a K3 zoekt K3. On va le faire avec les Néerlandais. Tout de suite, une sorte de communauté flamande-hollandaise se crée. Tout le monde trouve ça normal qu’il y ait des filles néerlandaises.

DaarDaar : Les francophones sont-ils présents dans les émissions flamandes et vice-versa ?

Les diables rouges, c’est évident. Quand on a des émissions sportives à la télévision ou à la radio, on peut avoir des interviews en français avec des sous-titres. Par contre, quand je sors un livre avec Pierre Kroll, on me dit : « on veut bien t’interviewer à la radio mais pas monsieur Kroll parce ce sera en français, c’est impossible à raconter à la radio. » Pourquoi est-ce possible pour les footballeurs et pas pour Pierre Kroll ? On connait ces footballeurs, Eden Hazard, on se sent concerné. Ce sont les médias qui peuvent le faire, ils ont les clés. On ne doit pas dire que ce sont les gens, les médias vont décider et influencer ce que les gens trouvent intéressants.

DaarDaar : L’apprentissage de la langue de l’autre des deux côtés de la frontière linguistique a-t-il évolué ?

À Tubize, j’ai vu un panneau : « À partir du 1er septembre, immersion en néerlandais ! » De plus en plus jeunes qui sont allés dans les écoles d’immersion vont commencer à avoir 18-20 ans. On sent que les choses sont en train de changer. Du côté néerlandophone, les choses ont aussi bien changé : la connaissance du français est en train de disparaître, surtout parmi les jeunes. Le français est devenu en quelque sorte une langue morte. On en a encore besoin pour le boulot, il y a 24 % des offres d’emploi où le français est requis, contre 18 % pour l’anglais. Certains me disent : « Ce serait plus pratique d’apprendre l’anglais. » Je leur réponds : « Si vous ne pouvez pas travailler un job à Bruxelles, car vous n’êtes pas bilingue, allez-vous immédiatement travailler à Londres ? » Ça ne marche pas comme ça. Soudainement, quand ils ont 18 ou 24 ans, ils cherchent un travail alors ils se rendent compte qu’ils doivent vraiment parler le français.

DaarDaar : Avez-vous un exemple de manque d’échange entre les médias francophones et flamands ?

Le néerlandais a toujours été absent du monde francophone, en Wallonie, à l’exception des Belges francophones habitant en Flandre. C’est encore le cas à la RTBF. Si je veux passer un disque après une interview, je suis obligé de prendre le CD avec moi. Il n’y a pas de disques néerlandophones dans les discothèques de la RTBF. C’est trop compliqué de demander à l’autre côté dans le même bâtiment. Du côté néerlandophone, le monde culturel francophone était présent, on regardait la RTBF. Pas parce que nous étions francophones, mais parce qu’il n’y avait que 4 postes de télévision. On commençait avec les Gendarmes de Saint-Tropez, les Bronzés, mais aussi Bouillon de Cultures, etc. On a de nouveau une émission en français sur Klara, notre musique 3, sur la chanson française de 18 à 20 heures le samedi soir. À part ça, il n’y en a pas beaucoup. Depuis 30 ans, il y en a de moins en moins.

DaarDaar : Comment apprendre des langues étrangères ?

Mon fils de 15 ans parle très bien l’anglais avec l’accent américain, parce qu’il a appris cette langue sur son ordinateur avec ses jeux. Comme moi, j’ai appris le français par Jacques Brel et l’anglais par les Beatles et autres. On peut apprendre une langue pour des raisons mercantiles, pour un job, savourer une langue et la culture qui va avec, c’est parce qu’on aime les films, les chansons, c’est parce qu’on aime une langue. Une langue, c’est un outil. C’est la clé pour apprendre et utiliser une langue.

DaarDaar : Pourquoi avez-vous décidé de faire des spectacles en Belgique francophone ?

J’étais comme beaucoup d’humoristes flamands, je travaillais uniquement en néerlandais en Flandre et un tout petit peu aux Pays-Bas pendant 15 ans. Je me suis dit que c’était un peu bizarre : je vais aux Pays-Bas, mais j’habite à Alost. Comme beaucoup de Belges, j’habite à 20-30 kilomètres de la frontière linguistique comme ici (Tubize, à 5 kilomètres de la frontière), mais je ne connais rien de l’humour de l’autre. Voilà pourquoi j’ai décidé d’essayer.

J’ai d’abord rencontré des collègues francophones, comme Bruno Coppens. C’est grâce à lui que j’ai commencé, on s’est lancé très vite. J’ai commencé immédiatement à faire des tournées de 20 minutes en français. Je ne l’avais jamais fait. L’année après, en 2009, j’ai participé au festival d’humour de Rochefort retransmis en direct sur la RTBF. C’était la 8e que je jouais de ma vie. C’était en direct devant la TV, j’étais très nerveux. Mais bon, ça a bien marché, les querelles communautaires m’ont aidé en 2010-11. Ça allait très vite, les gens étaient vraiment curieux et voulaient rencontrer un humoriste néerlandophone. Ils voulaient discuter avec moi après le spectacle : « Qu’avez-vous contre nous ? » « Pourquoi les Flamands sont-ils tellement fâchés ? » D’un coup, j’étais le représentant de tous les Flamands. »

DaarDaar : Y a-t-il une différence dans les réactions entre les publics francophone et néerlandophone ?

Je remarque qu’il y a beaucoup de différences dans une même région ou communauté. Tout dépend si  tu joues d’une grande ville ou à la campagne. Quand je jouais le même spectacle en français et en néerlandais, la Bertitude des Choses, je parlais de mon grand-père dans les années 70 qui achevait des lapins dans le jardin. Quand je racontais cette histoire à Bruxelles, les gens me regardaient horrifiés, peu importe s’ils étaient néerlandophones ou francophones. J’étais un bourreau, un sadique. Quand je racontais cette histoire à la campagne, néerlandophone ou francophone, les gens disaient : « mon grand-père le faisait aussi ! » On se fixe toujours sur les différences entre les francophones et les néerlandophones. Bien sûr, il y a des différences, ça vient aussi des médias.

DaarDaar : Francophones et néerlandophones ont-ils une attitude différente vis-à-vis de la pratique des langues étrangères ?

Les Belges francophones ont peur de s’exprimer dans d’autres langues parce que la langue est importante. Ils ont l’impression qu’ils doivent maitriser la langue comme il faut avant de s’exprimer. D’après mes expériences, quand les Flamands vont à l’étranger, ils vont essayer d’utiliser quelques mots de la langue en se disant « on verra bien ce que ça donne… » Les Belges francophones pensent qu’ils doivent le dire comme il faut, c’est parce qu’ils ont beaucoup de respect. Les jeux de mots, ça cartonne. Tu veux montrer que tu maitrises la langue, et alors ? On s’en fout ! Voilà pourquoi il y a plus de patois et de dialectes en Flandre. La langue n’a pas tellement d’importance. L’avantage pour les néerlandophones, c’est qu’ils sont moins crispés pour parler une langue.

DaarDaar : Avez-vous des propositions pour renforcer les liens entre francophones et néerlandophones ?

DaarDaar est déjà une très bonne initiative qui va dans ce sens. À part ça, des villes belges sont jumelées avec des villages en Allemagne ou en France. Des Belges ont eu l’occasion de visiter ces pays, mais ils ne sont jamais allés à Anvers ou à Gand ! On a vraiment besoin de jumelages entre villes belges !

Propos recueillis par Aubry Touriel, Tubize (10/05/16)

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